mardi 21 décembre 2010

Des coquelicots en octobre

J'ai bien réfléchi.
Même si ce n'est pas si souvent, même s'il n'y aura pas toujours une recette de cuisine.
Même si parfois les photos seront ratées.
Même si j'ai l'impression que ça ne va intéresser personne, même si certains trouveront ça moins bien.
Même si les nuits seront plus courtes.
Parce que j'ai toujours aimé les rubriques Courrier des lecteurs, et que j'étais toujours déçue de ne pas y trouver mes lettres.
Maintenant, j'écris ICI

La photo a été prise au printemps au musée Zadkine à Paris, puis nous avions grignoté des chocolats Jean-Paul Hévin sur les chaises vertes du Luxembourg presque désert.

mardi 9 novembre 2010

Tu m'as dit bien sûr que si -minestrone-

Sur le chemin du retour nous n'étions pas d'accord. Les feuilles jaunies viraient au marron sur le bords des trottoirs, le parapluie devenu inutile n'était plus qu'encombrant, j'aurais préféré ne pas avoir oublié mon écharpe mais il a glissé ma main dans la poche de son manteau.
Les scènes tournées dans l'HP lui ont déplu, l'histoire l'a angoissé, il a préféré la brune (normal!) parce qu'il trouvait que la blonde avait le regard dur. Nous avons dépassé l'immeuble décoré de mosaïques. J'ai aimé la défense de Kleist, le mutisme et l'absence résignée de Priss, le personnage de la professeur de flûte, les réparties de Noémie. Pour vous faire une idée, allez voir Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac, qui ne peut pas laisser indifférent.
Irez-vous, comme nous, goûter les crêpes au chocolat de la petite crêperie en face de la grande librairie après la séance?
Irez-vous, également, plonger vos mains gelées dans les bacs un peu sales d'une brocante de vinyls à la recherche d'une pochette de Leonard Cohen?
Serez-vous inhibés par ladite crêpe au chocolat pour vous refuser plus tard une tartine au beurre salé avec un peu de miel crémeux? (nous, non)
****
La veille, à côté d'un couple qui n'avait rien à se dire et qui écrasait mollement des filets de maquereau sur leur tartine mal beurrée, nous avons demandé un deuxième moelleux au chocolat et un autre verre de crémant d'Alsace aux alentours de 23 heures au Nabuchodonosor.
Il fut question de collants (prune, vert sapin, bleu électrique), de Bob Dylan (souvenir imprérissable de I want you qui s'échappait d'un café viennois enfumé), d'un homme qui avait entendu J'étouffais de travers quand j'avais éclaté en sanglots au téléphone en articulant laborieusement J'ai tout fait de travers, du sens dans lequel nous ferons, un jour, un road trip à travers les Etats-Unis (l'occasion pour chacun de défendre sa côte préférée. A cause de mes lectures adolescentes et de Woody Allen, j'ai un faible pour l'est), de la nécessité de tirer son épingle du jeu.
Mais je ne suis pas bien sûre d'y arriver. J'ai l'impression malgré les milliards de pages noircies depuis que je sais écrire que je ne ferai rien de mieux que ces histoires pourraves dont l'encre pâlit depuis toutes ces années. Pire encore, je ne fais rien pour me sauver de cette médiocrité, je n'ai aucune discipline, je ne m'attelle pas à la tâche, je ne trouve que des prétextes (oui mais là j'ai déjà la thèse à écrire ou ça n'intéresse personne à part deux-trois filles qui aiment les capes). J'ai longtemps pensé que je n'étais pas faite pour écrire, mais plutôt pour lire les autres, lire Poppies in october de Sylvia Plath, et en avoir des frissons plein la peau.
Je ne sais pas comment faire, je me sens empêtrée. J'aimerais bien faire de l'effet, comme quand j'entends juste Vincent Delerm faire la-la-la-la dans Voici la ville, ou Eric Rohmer quand il filme le dernier plan de Conte d'été. Par exemple. Il y en a tant d'autres.
Que puis-je écrire aussi quand je lis chez Gwendoline Ma vie argentique? Ou le récit d'un week end champêtre par Cléo? Sans parler des billets de Miss Popote...
G. écoute tout cela en silence en se balançant à peine sur le rocking chair blanc qu'il m'avait offert, et je le sens triste de ma propre détresse. Je lis dans son regard qui tremble un peu quelque chose qui me rappelle ce que disait Léonard de Vinci à l'un de ses élèves qui se lamentait de n'avoir aucun talent Dessine Antonio, dessine, et ne perds pas ton temps.
(je vais donc essayer de faire autre chose que d'écrire sur le blog)
(peut-être que ça ne donnera rien du tout)
(mais j'ai envie d'essayer)
Une dernière recette, pour laquelle j'ai aimé éplucher puis détailler en minuscules dés tout un tas de légumes choisis avec soin chez Annie Bertin, la star du marché, en écoutant à la radio quelqu'un qui parlait de Rimbaud.


Minestrone hérétique (mais garanti sans tofu)
Pour une grande casserole
-4 carottes
-1 poireau
-1 tranche de kabocha
-4 pommes de terre à chair ferme
-1 poignée d'épinards ciselés
-4 petites tomates (les dernières!)
-2 oignons
-2 gousses d'ail
-3 tranches épaisses de pancetta
-des petites pâtes courtes
-environ 1,5L de bouillon de volaille
-une croûte de parmesan
-du pesto (maison ou trié sur le volet)

Eplucher tout ce qui le nécessite et tout couper en petits dés.
Laisser fondre dans une bonne huile d'olive les oignons, l'ail, la pancetta, les carottes et le poireau. Quand ils commencent à être bien compotés, ajouter les tomates, la croûte de parmesan puis le bouillon. Laisser cuire une demi-heure sur feu doux. L'occasion d'éteindre la radio et de choisir un disque. Vieilles chansons de Gainsbourg ou de Françoise Hardy feront l'affaire.
Ajouter le kabocha et laisser cuire un peu avant d'ajouter les pommes de terre.
Trois quarts d'heure plus tard, c'est au tour des pâtes puis de la poignée d'épinards, juste avant de servir, juste le temps qu'ils fondent.
Dans le bol, verser la soupe, puis un tourbillon de pesto détendu à l'huile d'olive.
Ne vous brûlez pas.

vendredi 5 novembre 2010

Les fâcheries ont des secrets -un genre de pad thaï-

Au pied du lit, dans mon sac, sur la table du petit-déjeuner, en cachette si le colloque est ennuyeux, dans le métro bondé, avec un thé, quelques grains de raisin, des carrés de chocolat ou un morceau de brioche, Just Kids de Patti Smith ne me lâche pas.
Il y a bien sûr l’ambiance, la chambre 1017 du Chelsea Hotel, qui malgré ses salles de bain miteuses accueille dans ses couloirs moquettés toute la faune artistique new-yorkaise des années 70, mais c’est évidemment sa relation avec Mapplethorpe qui a provoqué chez moi un frisson singulier. Je les imagine, elle avec ses longs cheveux, ses foulards effilochés et ses sandalettes, lui avec un chapeau, les colliers qu’il fabriquait et son tee-shirt transparent, prendre le métro pour Coney Island où les stands de jeu défraîchis, les barbes à papa et les hot-dogs de chez Nathan’s, fourrés à la choucroute, les ravissent. Elle aime aussi les chicken pies, les sandwiches au fromage et à la moutarde avec de la laitue sur du pain au pavot ou ceux aux boulettes de sa maman. Lui adore le lait chocolaté, et il se moque gentiment d’elle quand elle commande non pas un doughnut à la confiture avec son café, mais un french cruller « Le seul truc qui te plaît là-dedans, c’est que c’est français ! »
Je ne saurais comment parler d’eux davantage, de leur amour qui nourrit leur art, de leurs nuits, de sa tristesse parfois. Et de la façon dont tout cela a résonné en moi. Indicible.
Ce début d’automne a le goût des poires pochées à la vanille, des cèpes poêlés avec un peu d’ail et de persil, d’une soupe à la butternut avec quelques ravioles de Romans, mais aussi celui des amitiés définitivement rompues. Un soir, pour la première fois depuis plusieurs mois, j’entends la voix de S. à travers le combiné toujours trop froid du téléphone. En fond sonore, il y a un morceau de piano que je n’identifie pas. Toute tentative d’explication est vaine, chacun est tellement persuadé que l’autre ne l’aime pas assez, voire parfois pas du tout, qu’il paraît impossible d’envisager une relation sereine. Le seul avis commun émis reste Tu m'as trop blessé. Il dit pourtant Si tu crois que je ne pense jamais à toi et je l’entends allumer une cigarette. Mais il sourit je crois quand je reconnais dans son Je suis un peu mélancolique blasé l’une des répliques de Louis Garrel dans La belle personne. Il n’y a que toi pour faire ça. Mais tu sais, même si tu me manques, je ne veux pas te voir.
La vie est compliquée.
Un jour en rentrant du travail, j’ai trouvé dans mon bureau, près des appareils photo, un bouquet de petites roses, rose poudré, dans le vase scandinave que tu avais rapporté d’un week end parisien et solitaire. Quand je pense à cela, ou à ta main dans mes cheveux au cinéma, le thermos de thé avec un petit mot pour les retours de garde, les madeleines que tu es allé chercher pendant une pause au travail, ton indulgence pour mes photos floues et surexposées, ta patience quand tu m’expliques la psychanalyse, ton enthousiasme joyeux devant chacun de mes élans (même si cela concerne l’achat d’une cape*), chacune de nos rares disputes me parait un immense gâchis.
Pour me faire pardonner, quand je me suis méchamment emportée, je glisse sous sa porte des petits dessins (tout comme lui va chercher en cachette des pâtisseries pour des goûters réconciliés) et puis je propose de faire l’un de ses plats préférés, un pad thaï bien relevé.


Pad thaï absolument pas orthodoxe mais vraiment bon
La recette de la sauce est directement inspirée de celle de Pim, et elle change tout. Pour cela, il vous faut du tamarin. Je l'achète en plaquette souple, sans noyaux. Vous en prélevez une petite moitié et vous la dissolvez bien dans 125mL d'eau bouillante, le plus pratique étant d'attendre que la mixture refroidisse et de le faire avec les doigts (propres mais vous n'êtes pas obligés, comme moi après avoir été externe dans des services de chirurgie, de les frotter au savon comme une acharnée pendant cinq minutes). Puis vous filtrez ce mélange et vous le réchauffez doucement dans une petite casserole avec 125mL de sucre de palme et 125mL de nuoc mam. La sauce est prête!
Ensuite, tout dépend des goûts. Vous pouvez faire un pad thaï végétarien au tofu (j'entends déjà la voix de G. exprimer quelques réserves en toussotant discrètement), au poulet, aux crevettes (lui préfère la version poulet ET crevettes).
La marche à suivre est simple et rapide. Veillez à bien avoir tous vos ingrédients à portée. La première fois, c'était au poulet.
Faites chauffer de l'huile dans une poêle, quand elle est très chaude (mais pas fumante, attention!), y verser le blanc de poulet émincé (je le coupe en tout petits bouts) et bien remuer. Au bout de quelques minutes, ajouter une petite gousse d'ail écrasée et un peu de sauce. C'est le moment d'ajouter les nouilles que vous aurez fait cuire au prélable (pendant que les ingrédients de la sauce se mélangeaient par exemple). Verser une généreuse rasade de cette sauce et amalgamer vigoureusement. Ajoutez un oeuf et une petite poignée de ciboule émincée et servez avec le sourire (ainsi que des cacahuètes pilées et un trait de citron de vert et du piment. Libre à vous d'ajouter un peu de sauce à même l'assiette).
(c'est très bon, bien que ma façon de faire soit définitivement hérétique et que la photo ne soit pas à la hauteur de l'objet)

*merci à P. d'avoir supporté les atermoiements capesques!

jeudi 28 octobre 2010

Sans le regard, ça n'a pas d'intérêt

Début de CP, j'ai à peine six ans. Ma mère a une collègue qui s'est prise d'amitié pour elle et qui s'inquiète de la voir rentrer à pied chaque matin de l'hôpital où elles travaillent. Alors elle la ramène régulièrement en voiture, et lors de l'un de ces trajets amicaux, rythmés par les informations radiophoniques et l'arrêt de rigueur dans une petite boulangerie qui faisait des baguettes divines, elle a évoqué à ma mère les cours de danse où allait sa fille chaque mercredi depuis un an. C'était dans une école municipale, de la danse classique, et mes parents auraient certainement des frais d'inscription peu élevés.
Ma mère m'a montré le formulaire d'inscription, une feuille jaune toute simple, qui serait à mon nom. Elle m'a acheté un petit sac rose et vert d'eau, que j'adorais. Et puis des chaussons très doux, une paire de collants. Le tutu bleu, c'est la collègue qui me l'a offert.
Le mercredi après-midi, j'aimais tout. Les casiers dans le vestiaire, le bruissement de la tulle, les voix de filles à l'infini quand elles se changent, la salle de danse, son parquet, ses miroirs, sa barre, son piano sombre. J'aimais la rigueur du geste, sa grâce, son accord mystérieux avec la musique. J'étais juste un peu gênée parce que je voyais mon reflet dans les grandes glaces, les cheveux noirs, les yeux bridés, je me sentais un peu seule. Et puis un jour, il y a eu un costume à essayer pour le spectacle de fin d'année. Et j'ai surpris la couturière dire au professeur "Il en faudrait une un peu ronde". Et on m'a tendu le tutu blanc à plumetis, comme si c'était un privilège. Et je ne suis jamais retournée au cours de danse du mercredi.
Cela explique peut-être en partie le choc intérieur que j'ai ressenti ce soir en voyant Tanzträume (Les rêves dansants), le documentaire sur ces adolescents qui montent Kontakthof, le beau spectacle de Pina Bausch, qui date de 1978.
Sourdement, sans qu'elles ne soient liées à la tristesse, les larmes ont silencieusement inondée mon visage. J'étais émue par la beauté des pas et des déhanchés, par l'énergie joyeuse des adolescents malgré les doutes et l'angoisse, par le personnage de Joy qui paraît si fragile dans sa robe rose mais dont le regard ne se trouble pas le soir de la première. La scène où elle minaude malicieusement avec une amie, toutes les deux en robes poudrées de gala, est magnifique. J'ai aimé aussi la scène folle de boogie et toutes celles qui détaillent la précision insoupçonnée de la mise en scène, la façon particulière de caresser des cheveux ou de gifler une joue. J'ai déjà envie de le revoir.
****


Pour celles qui sont restées des petites filles privées de cours de danse (ou pas), celles qui aiment la photographie argentique, le mobilier scandinave des années 50, la peinture Bone China Blue de chez Little Green, les guirlandes lumineuses, les photos des films de Godard, celles de Patti Smith, les torchons en lin teinté, les pique-niques uniquement sur des nappes à carreaux avec de la citronnade et la transformation du mobilier standard en objet design, il me parait indispensable de vous procurer au plus vite le numéro un (est-ce que comme moi vous aimez compiler les numéros un des magazines?) de la jolie revue Toc-toc-toc!
A Rennes, elle est dans la vitrine de La belle histoire (8, rue Saint Melaine) mais, en souvenir d'une applique fleurie achetée cet été, j'ai commandé la mienne chez Müm, une adorable boutique bordelaise assez démoniaque si vous aimez les broches en bois, les sacs en tissu, les planches nuages ou les cahiers vintage...


(J'ai encore plein de choses à raconter mais parfois j'hésite, parce que je trouve que je radote grave. Heureusement, P., E. et ses lunettes, C. au milieu des eucalyptus, C. dans le même pays, E. de la salle Pleyel, V. comme à Bloomsbury, C. de l'autre côté de l'Atlantique et l'autre G. savent être encourageantes et bienveillantes. Qu'elles en soient remerciées! Et puis M. a commencé un blog! Incroyable!)

lundi 18 octobre 2010

Le bonheur me tracasse -le poulet cristal de Sophie Brissaud-

Assise en tailleur sur le parquet désert, j'en pleurais de rire, j'ai même faillit m'étouffer avec mon éternel thé. En triant les nombreux papiers qui s'entassaient depuis des années dans les tiroirs en plastique d'un meuble rendu acceptable en camouflant sa face antérieure avec un joli tissu, j'ai trouvé un petit roman que j'avais laborieusement écrit l'été de mes dix-sept ans (oui, quand on n'est pas sérieux). Cela racontait l'histoire d'Antoine, qui aurait voulu être réalisateur mais que la force des choses avait contraint à être professeur, de Frédéric qui était interne en médecine et qui se destinait à travailler dans l'humanitaire et de Hannah (je tenais beaucoup aux deux "h"), qui était juste une fille incroyablement jolie, intelligente et drôle. Je n'avais peur de rien et mon texte était entrecoupé d'extraits de chansons en rapport avec l'intrigue, comme une esquisse de l'actuel blog. On ne se refait pas. Quand l'histoire commence, Antoine va chercher Frédéric à l'aéroport. Celui-ci quelques jours auparavant avait envoyé à son ami trois statuettes maliennes qu'il avait baptisées l'Intelligence, la Puissance et l'Amour. J'en ris encore.
(Pourtant, à l'époque, j'étais super fière de cette fiction. J'en avais envoyé un exemplaire à J. et un autre à E. En fait, je n'ai jamais su ce qu'ils en avaient pensé. Il vaut sans doute mieux)
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Le passé fini toujours par me rattraper mais parfois, c'est heureux.
Un jour début octobre, j'ai reçu un petit message de S., qui m'invitait à sa thèse. Ca m'a fait bizarre, étant donné que j'ai rencontré S. il y a quatre ans, quand nous étions externes aux Grands enfants, un stage de pédiatrie que j'avais adoré, sans doute l'un de mes stages hospitaliers préférés (en réalité, le seul que j'ai bien aimé). Je me souviens encore de certains patients. R. parce qu'il m'avait demandé de l'aider pour un commentaire composé sur un poème de Baudelaire ("Mon enfant, ma soeur,/songe à la douceur/d'aller là-bas/vivre ensemble!") et A. parce qu'elle ne voulait plus du tout avaler quoi que ce soit et que c'était la première fois que j'étais confrontée à cette énigme-là.
S., quant à elle, avait la gentillesse qu'ont quelques rares étudiants en médecine et je me souviens encore des confidences que nous échangions dans le petit vestiaire au moment d'enfiler nos blouses. Pendant l'oral de sa thèse, je l'ai trouvée sereine et précise, j'étais super fière de la connaître, et je sais aussi qu'elle sera un bon médecin. Je sais peu de choses de son passé mais suffisamment pour être touchée de voir sa famille ce jour-là et sa maman, ravie et émue.
C'était un grand moment, et j'ai eu besoin de rentrer à pieds de la fac ce soir-là, le vent dans les cheveux et sur les joues. J'ai pris le chemin le plus long, pour garder avec moi ce souvenir si heureux, incapable que j'étais de monter dans le métro et d'affronter des regards inconnus, qui ne comprendraient pas.
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G. s'est dépêché de rentrer du travail un mardi soir, il y avait une séance pour "Les amours imaginaires" à 20h et nous nous sommes donnés rendez-vous devant la verrue architecturale qu'est le multiplexe de Rennes. Il arrive malheureusement que dans cet endroit vulgaire et moche, ce cinéma où vous êtes accueillis par des colonnes de bonbons et des promotions sur le pop corn, ce truc où la fille qui vend les tickets vous demande "C'est en VO, vous y allez quand même?", et bien il y ait LE film que vous tenez absolument à voir. Surtout quand quelqu'un que vous aimez bien vous le recommande à chaud à peine sortie de sa propre séance. Je trépignais d'impatience.
Alors, même s'il y a plein de références très appuyées, j'ai adoré les robes vintage, les milk-shakes mousseux pendant le week end à la campagne, les carrés de sucre blanc et de sucre roux en damier dans la boîte en fer, le fait que l'on déplore qu'il n'y ait plus de madeleines pour l'heure du thé, la scène devant la vieille machine à écrire, le pull tangerine, les lettres échangées et surtout celle, évidemment, qui reprend le vers de Rimbaud "Ce soir-là..., -vous rentrez aux cafés éclatants, /Vous demandez des bocks ou de la limonade...", et quelqu'un que j'aime bien en guest star ironique pendant la fête ultime.
(bon, après j'ai un peu déprimé quand on m'a rappelé que Xavier Dolan avait à peine 21 ans)
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En ce moment, c'est un peu déroutant, la vie est comme ce billet, parfaitement décousue, et j'essaie de m'en accommoder. J'essaie, quand je fends le parc de l'hôpital à pas toujours pressés sous les arbres rougissants, de ne pas m'en faire. Ne pas m'en faire pour la thèse qui n'avance pas du tout, ne pas m'en faire pour certains patients qui ne vont pas bien du tout, ne pas m'en faire parce que les amis sont loin, ne pas m'en faire parce qu'il y aura toujours quelque chose qui cloche, mais je ne sais que trop bien que je ne pourrai jamais arrêter de m'inquiéter.
Sauf quand je me lance dans une recette de Sophie Brissaud! Comme je ne me lasse ni de son cochon à la sauce prune ni de son flan au Kiri (j'aime bien parce qu'elle maîtrise parfaitement le grand écart), elle m'a donné envie d'essayer son "poulet cristal".


L'oiseau, immergé dans un bouillon bouillant très parfumé (piment, ciboule, ail, gingmenbre) est ainsi poché à couvert, pendant plusieurs heures, feu éteint.
Au final, la texture de la chair est très chouette, tendre et soyeuse, subtilement épicée. Le bouillon quant à lui, est utilisé pour faire cuire le riz destiné à accompagner le poulet. J'ai bien aimé mélanger le riz très chaud avec le poulet émincé encore tiède, de la salade bien fraîche, un peu de sauce soja et du piment. Une bonne façon d'affronter le dimanche soir et son petit cafard habituel.

Le poulet cristal de Sophie Brissaud
-un poulet bien elevé
-50g de gingembre épluché et coupé en tranches
-une botte de ciboule
-trois gousses d'ail épluchées
-3-4 piments entiers
-du gros sel
-plusieurs grains de poivre

Préparer le bouillon: dans une cocotte en fonte, réunir la moitié de la ciboule, la moitié du gingembre, l'ail, le poivre et le sel en quantité suffisante pour que cela paraisse un peu trop salé dans suffisamment d'eau pour immerger le poulet.
Insérer le reste de gingembre et de ciboule dans le poulet.
Porter le bouillon à ébullition, installer la poulet, couvrir la cocotte. Attendre la reprise de l'ébullition (à l'oreille), la maintenir trois minutes puis arrêter le feu.
Laisser reposer cinq heures.
Au moment du dîner, prélever du bouillon pour préparer un riz trop bon.
Au moment de servir, prévoir de la salade ciselée, de la sauce soja et du piment.
Pour le dessert, on est allé à l'épicerie ouverte jusqu'à minuit pour acheter quelques biscuits au chocolat. Cette fois-ci c'était des Prince, parce qu'on aime bien les tremper dans du lait bien froid. J'en ai remis la vaisselle au lendemain.

D'autres poulets?
Le poulet au miel, au citron vert et à la mangue de ma maman
Le poulet au coca
Le poulet ivre
Le poulet-cinéma
Le poulet frit à la japonaise (tori no karaage)

dimanche 10 octobre 2010

Nos histoires d'amour sont les mêmes -do you love bibimbab?-

J'avais fait une petite croix sur le plan déjà fatigué de Stockholm pour retrouver sans peine l'endroit élu d'un commun accord pour le dîner. Il n'y avait que quelques lignes laconiques à son égard dans le guide de voyage et cela me paraissait précisément être de bon augure. J'avais enfilé des collants gris à l'hôtel avant de sortir, parce que les nuits étaient déjà fraîches. Il y avait aussi une robe rose et des ballerines bleues, éprouvées car adorées.
En voyage, c'est G., parce qu'il est doté d'un solide sens de l'orientation, qui est systématiquement désigné responsable des itinéraires et ce, même si j'ai appris au fil des années à lire une carte routière de façon experte. Ce soir-là, le trajet était simple et suivait un quadrillage régulier de rues tranquilles aux façades de briques ou discrètement colorées de teintes sourdes. Il y avait des magasins d'antiquités, des gargotes thaïes avec des nouilles à emporter dans des boîtes cartonnées, des laveries, une librairie de mangas et cette enseigne vert d'eau qui fut expressément photographiée YU love bibimbab. Un endroit idyllique si l'on en croyait les affiches en devanture, mais toutes ces promesses de bibimbab divers et variés étaient pour l'instant impossibles à assouvir puisque le rideau de fer était baissé et que le temps manqua ensuite pour y retourner.
Je restai pourtant longtemps obsédée par cette simple évocation de bibimbab, d'autant plus que j'en avais depuis longtemps fait le deuil à Rennes puisque le Ninano, un super chouette restaurant coréen tenu par une dame qui portait des jolis foulards sur le crâne, a fermé un jour sans prévenir pour être remplacé par un truc sans intérêt. Au Ninano, le bibimbap était un dolsot bibimbab, ce qui signifie que le riz, surmonté de ses divers légumes, de son jaune d'oeuf et de sa pâte de piment, était servi dans un bol en fonte, le dolsot, et cela produisait un crépitement fort agréable dù au riz qui grésille quand le gentil serveur le posait sur la table. J'avais alors grand plaisir à remuer le contenu de mon bol à petits coups de baguettes expertes puis à me brûler les lèvres avec ce riz savoureux et épicé.
Le meilleur bibimbab qu'il m'ait été donné de goûter, en bonne compagnie qui plus est, est celui que les cuisinières de Chez Kim à Strasbourg, avaient préparé un vendredi de février, après des jours de neige. P., là-bas, est accueillie avec l'infinie gentillesse que l'on réserve aux habitués qui vous le rendent bien.
Il n'y a pas de recette officielle de bibimbab car elles dépendent directement de l'infinité des goûts et des disponibilités du frigo. C'est un plat chaleureux et réconfortant, dont il est très agréable de partager la préparation avec celui ou ceux qui vont le goûter avec vous. C'est un plat rassurant que l'on peut savourer assis en tailleur autour de la table basse, avec ses baguettes préférées et une bière bien fraîche pour ceux qui l'aiment.
J'ai choisi, samedi soir, de le préparer comme ça:

Bibimbab pour deux
-du riz cuit au cuit-riz
-une poignée d'épinards blanchis
-trois petites carottes (de couleur différente, parce que c'est joli) coupées en julienne
-trois gros shiitakés émincés
-une petite courgette coupée en julienne
-250g de boeuf (de la poire, du persillé...) émincé
et pour la marinade: une demi-poire williams rouge épluchée et râpée, deux gousses d'ail écrasées, un pouce de gingembre râpé, deux tiges de ciboules fendues, trois cuillères à soupe de sauce soja, une demi-cuillère à soupe de miel, une cuillère à soupe de sirop d'érable, deux cuillères à soupe d'huile de sésame et plusieurs tours de moulin à poivre
et pour servir: un oeuf par personne, du gochujang et des graines de sésame.

La veille ou le matin pour le soir, mélanger les ingrédients de la marinade et en enrober les lamelles de boeuf. Laisser reposer.
Le moment venu, faire cuire les légumes séparément et successivement dans une poêle avec un peu d'huile de sésame (je les ai maintenus au chaud dans des petits bols préchauffés et recouverts de papier aluminium) puis saisir la viande dans la même poêle. Pendant q'elle cuit, préparer deux oeufs sur le plat.
Pour dresser les bols (préchauffez les!): répartir du riz en leur fond puis disposer de façon la plus harmonieuse possible les légumes et la viande. Recouvrir le bol avec l'oeuf au plat, déposer une petite cuillère de pâte de piment et saupoudrer de graines de sésame. C'est prêt!


Quand nous sommes arrivés au restaurant que j'avais coché sur le plan, la serveuse avait une robe verte et un sourire gentil. A la table d'en face, il y avait un garçon, pantalon en velours à grosses côtes, sweat shirt gris et cheveux longs qui dînait avec sa mère, une maman avec un cardigan, des lunettes et un regard un peu triste. Ils avaient l'air de très bien s'entendre, ils avaient visiblement plein de choses à se raconter. Quand on s'est installé et qu'il nous a entendus dicuter, il nous a salué d'un "Bonsoir" très doux. Ce garçon, bien qu'il se fût adressé à la serveuse en suédois, était français et visiblement assez content de nous croiser là, à Matkultur (c'est le nom du restaurant, et on y mange très bien). Pendant tout le dîner, il nous regardait furtivement, et je n'osais rien dire non plus. Et puis ils sont partis, il a dit "Au revoir" mais je savais que nous ne le reverrions précisément jamais alors que dans ses regards silencieux j'avais l'impression que nous pourrions nous entendre.
Hier soir, avant le bibimbab, il y avait un évènement que j'attendais avec impatience: la séance de 19 heures de Petit tailleur!
Il se trouve qu'il y a une dizaine de jours, au décours d'une conversation téléphonique avec E. qui rentrait elle aussi d'Italie, j'ai appris que Laure Adler avait reçu Louis Garrel dans son émission de début de soirée sur France Culture. Dès les premières minutes (il était super tard, genre 23 heures, G. était à une répétition et je n'avais pas encore dîné -du riz sauté avec du boeuf épicé et du chou chinois, comme un prémice de bibimbab), j'ai envoyé un message à P. avec un lien vers l'émission tant je trouvais tout cela passionnant et séduisant. Je voulais partager mon enthousiasme avec elle! (et quelques jours après, elle m'a écrit "Il y a une interview aussi chez Pascale Clark". Chic!) J'ai bien aimé parce que tout le long de l'émission il y a des extraits de films, comme Masculin/Féminin, des voix aimées comme celle de Jean-Pierre Léaud parlant de Truffaut et plein de chouettes remarques de Louis Garrel sur sa famille, le cinéma et la psychanalyse.
Dans Petit tailleur, on retrouve tout cela, des idées empruntées à Godard, Truffaut, papa et aussi Desplechin. Le film est comme un rêve, où ne cesse de courir Arthur dans les rues parisiennes (de son micro studio à l'atelier de couture d'Albert, de l'atelier au théâtre de l'Odéon, du théâtre aux espoirs déçus), qui fait une robe sur mesure pour Julie-Marie qu'il désire et redoute à la fois (j'avoue que j'ai l'ai trouvée absolument détestable. Tout l'inverse de l'épouse d'Albert qui fait des tartes aux pommes surprises).
En sortant de la salle quasi-déserte, j'ai dit à G. "C'est bizarre j'aurais pensé qu'il y aurait eu plein de filles comme moi dans la salle, ou des jeunes au moins, alors que tout le monde avait bien trente ans de plus que nous" et il a dit "Oui enfin bon, tu trouves que c'est un film de jeunes? C'est un petit peu daté quand même!" Oui, c'est vrai, c'est ultra daté mais je trouve que c'est une façon assez moderne de parler des amours compliquées qui s'évanouissent avant même d'avoir existées.

mardi 28 septembre 2010

L'histoire à l'envers et l'été envolé

Mes parents sont arrivés en France en plein hiver et ont été ironiquement installés dans un village vacances de bord de mer. Je n'aime pas trop y retourner, l'herbe est drue avant les dunes et les balançoires en pneu de voiture grincent en choeur. Peu d'images de ces quelques mois si ce n'est à travers le prisme de leurs souvenirs. Les premières neiges, sensation inconnue, et les fruits de mer servis avec des rince-doigts, éminemment exotiques. Je me demande à quoi rêvaient mes parents sans argent et sans un mot de français.
Le premier "vrai" logement était à l'étage d'une grande maison aux volets bleus. Le loyer ne valait pas grand chose, le prix d'une seule chambre où l'on se serrait à trois sur le canapé en velours vert bouteille. Là, je me souviens des samedis soirs, parce qu'il y avait Jean Rochefort dans Disney Channel que j'adorais regarder assise par terre avec un bol de soupe de riz. J'étais (et je suis encore) une fan absolue de Jean Rochefort!
Je me souviens aussi de la propriétaire qui habitait au rez-de-chaussée, un genre de grand-mère acariâtre qui venait chercher le loyer toujours trop tôt et qui avait deux monstrueux colleys qui aboyaient prodigieusement fort. Je me souviens que mes parents ont commencé à travailler, des trucs incroyables, comme coller des bandes rouges et bleues sur des maquettes d'avion débarquant par centaines dans des cartons ou trier des milliers de bouchons de flacons de parfum en écartant ceux qui avaient un défaut. Ma mère me faisait promettre de faire un métier un peu plus chic, docteur ce serait bien, surtout que je voulais toujours plus de livres et qu'elle était persuadée que les docteurs avaient des livres du sol au plafond.
Un jour il fallut faire à nouveau les cartons, qui étaient finalement peu nombreux, et nous avons emménagé dans un nouvel appartement dont ils me disaient de taire l'adresse quand c'était possible parce qu'ils avaient honte d'habiter une sordide cité HLM. J'avais une chambre rose, ils m'ont acheté du mobilier blanc, j'adorais mon secrétaire et ses tiroirs désuets. Il y avait une cuisine bleue, un bleu un peu sale, un peu triste, un bleu qui fait que maintenant ma mère déteste cette couleur. J'ai eu mon premier sapin de Noël dans ce salon, ma mère a commencé à travailler, elle partait le soir, revenait le matin et me faisait réciter poésies et tables de multiplication sur le chemin de l'école qu'elle parcourait avec moi, main dans la main et les yeux mi-clos d'épuisement. Mais ils furent heureux de m'acheter une bibliothèque pour mon anniversaire et une marchande (avec une balance, une caisse enregistreuse, des fruits et légumes en plastique et même un poulet rôti!) à Noël.
Mon père a commencé à travailler aussi, il a pu remplacer la deux-chevaux couleur crème par une R5 métallisée, mais il était très malheureux au travail, il avait dû renoncer à ses aspirations scientifiques, il n'a jamais pu reprendre ses études interrompues au Cambodge et il ravalait chaque matin sa fierté avec son café qu'il buvait noir.
Tout cela ne fut pas sans récompense. Un jour ils commencèrent à visiter des petites maisons, pas trop loin du collège où j'allais rentrer en sixième, et au début de l'été, nous avons pu quitter la cuisine bleue, la cage d'escalier vraiment glauque et le balcon en béton pour nous installer dans une maison blanche avec un jardin, une terrasse, un cognassier devant la fenêtre de la cuisine et des rosiers devant l'entrée. Mes parents étaient enchantés par des détails assez touchants finalement, comme les plafonds tapissés des chambres, la baignoire et le carrelage de la salle de bain. Ils étaient vraiment contents, ils invitaient des amis, ce dont ils s'étaient privés pendant des années, et ma mère faisait des montagnes de nems, des gaufres et des brochettes de boeuf à la citronnelle sur le barbecue de la terrasse.
J'ai commencé à tenir un journal dans cette maison-là, dans un cahier violet au début. J'y racontais que les garçons étaient décidément très compliqués, que les appareils dentaires étaient une invention sataniques et que décidément, ce n'était pas juste, A. était infiniment plus jolie que moi, même si c'était une beauté un peu vide. Les préoccupations étaient enfin futiles.
Quand je retourne chez mes parents, même si je suis un peu triste quand je repense à mes hésitations adolescentes et mon ennui silencieux et interminable, même si je ne suis pas toujours d'accord avec les partis pris de leur décoration, je suis infiniment rassurée de les voir installés-là, eux qui débarquant en France au milieu de l'hiver dans les années 80, n'auraient jamais imaginé un jour en posséder un petit espace, un morceau de terre.
Les dernières heures passées dans l'ancien appartement sur les quais rennais furent un peu difficiles. Suite à notre manque chronique d'organisation, il restait encore une trentaine de cartons à transporter nous-mêmes après le passage des déménageurs, et puis il fallait tout nettoyer. A trois heures du matin, après un kebab assis en tailleur sur le parquet désert, il s'avéra nécessaire d'aller à la déchetterie, ahem. J'avais oublié que dans les placards de mon ancien bureau, les placards en hauteur, ceux que je n'ouvre jamais, il y avait tous les livres, toutes les notes, les annales, les dossiers, les schémas, fébrilement entassés pour l'internat. Une montagne de cinquante kilos de papier. J'ai gardé des petites bricoles, pour la revente et pour le souvenir (notamment le répertoire très épais où j'avais compilé tout ce qu'il ne fallait absolument pas oublier) mais le reste a fini dans des grandes poubelles, entre un restaurant et un réparateur de vélos. Ca m'a filé des frissons de jeter tout ça, ces heures de travail, ces sales souvenirs.
J'ai hâte de vider les cartons entre lesquels on zig-zague périlleusement, de peindre les tréteaux de mon bureaux, d'en recouvrir de papier le plateau, de retapisser le tabouret de piano, de choisir les magnets pour le frigo! Et puis je vous montrerai... Le chemin fut long!
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Bonus! Parce qu'il y a des filles qui emmènent leur amoureux à Biarritz en automne, mes endroits préférés (dans l'une de mes villes préférées).
Adresses et liens à la fin du billet.

A l'Hôtel Beaulieu, parfaitement situé entre la plage des Basques et le centre ville, il faut penser à demander une chambre avec vue ET balcon, parce qu'elles sont plus grandes et que c'est toujours chouette de s'asseoir un peu pour regarder les vagues sur le rocher de la Vierge et les enfants du club de surf qui s'entraînent sur la toute petite plage pile en face de l'hôtel. Je ne me baigne jamais là parce qu'il y a trop de monde, de familles, mais j'adore la grosse horloge juste au-dessus des colonnes en pierre.
Si nous avons souvent discuté avec le veilleur de nuit, qui est un ancien accordeur de piano, nous n'avons jamais pris de petit-déjeuner à l'hôtel. Si la journée s'annonce calme et voluptueuse, il n'y a pas d'hésitation possible, il faut aller chez Miremont, commander un chocolat chaud, des toasts (au pain de mie maison) qui arrivent grillés et beurrés, et de la confiture. J'aime bien faire ça avant une balade jusqu'au phare par exemple. Une fois arrivés là-bas, on prend des photos des hortensias, on observe les pêcheurs au pied des falaises et je suis capables de rester des heures à regarder le panorama. Si le programme est chargé (genre Tiens si on allait à Bayonne? ou Tu veux aller à Guéthary? -en fait je n'aime pas trop Guéthary. Ni Saint Jean de Luz), on boit un café ou un thé en bas de l'hôtel et on s'achète des viennoiseries sur le chemin toujours à Miremont.En général, quand on rentre du phare, on aime bien s'arrêter au Bookstore, pour s'acheter un livre qu'on lira l'après-midi sur la plage. Ils ont aussi une très chouette sélection enfants et les libraires sont assez avenants.
Il arrive qu'on aille aussi au cinéma, parce qu'il est d'Art et d'essais et qu'il y a toujours un bon film au programme. En attendant la séance, on peut grignoter des macarons Adam sur la place (mais je ne suis pas fan de leurs pâtisseries) ou traîner au Festin Nu, librairie subversive dans une petite rue en face du ciné, où ils ont eu la bonne idée d'installer un canapé. En discutant avec le garçon qui y travaillait cet après-midi là, on a décidé d'aller se rafraîchir chez Lulu la Nantaise, un salon de thé-antiquités du XXème siècle, où les smoothies sont délicieux, piquants de gingembre quand on commande un orange-pomme-carotte. Juste à côté un joli magasin de maquettes en bois avec une lampe-poisson impressionnante.
En fin d'après-midi, quand la pellicule pour le Diana F+ est terminée, vous pouvez toujours vous approvisonner à In the middle, qui propose plein de modèles de Lomo et qui vend aussi des jolis vêtements de créateurs pointus au milieu des must-have du moment (toute une pile de Bensimon Liberty cet été). Le couple qui tient le magasin est super gentil. D'autres adorables habits vous attendent à Lily of the valley, jolie boutique à la façade azurée. On y trouve des sacs Polder, des vestes Isabel Marant, des jolies chemises et des chouettes jupes. Au sous-sol, des vêtements vintage au milieu de vieux magazines de mode et de radios d'époque. Là aussi, les vendeuses sont super gentilles.
Sur le chemin des Halles, si vous allez faire le marché, trois escales possibles. La première à Le rond dans l'eau pour les plateaux en bois, les lampes Jieldé vert d'eau, la vaisselle scandinave, les fauteuils designés, les sets de table Robert le héros et tout un tas de jolis objets. La deuxième chez Arostéguy d'où j'ai faillit repartir avec une énorme conserve de ventrèche de thon dont la boîte était de plus bel effet mais il y a aussi des foie gras, des pâtés au piment d'Espelette, du boudin basque, des confitures, des sablés locaux, des jus de fruits dans des belles bouteilles... Et du thé Mariage Frères si vous avez oublié vos sachets à la maison! La troisième escale n'a rien à voir, c'est à Denim Gallery, pour les jeans différents et les tee shirts sérigraphiés chics et malicieux.
Les Halles sont évidemment incontournables et j'ai toujours rêvé d'avoir une cuisine à Biarritz pour préparer les beaux poissons et les légumes archi frais. Pour se consoler, on s'y ravitaille en fromages basques et en charcuterie pour un pique-nique délicieux. Juste à côté des Halles, une institution en début de soirée, le Comptoir du foie gras, qui ne fait pas que du foie gras, loin de là, mais des supers tapas au tarama d'oursin ou au fromage et à la confiture de cerises noires ou au juste au Pata Negra, enfin il y en a une vingtaine, qu'il est très agréable de grignoter autour de grands tonneaux qui font office de tables pour recevoir la sangria, le cidre de basque, l'orange pressée ou la coupe de champagne. Plein d'habitués, jolis cardigans, robes fleuries et lunettes arty qui s'embrassent et échangent leurs bons plans. Juste à côté, un antiquaire avec des livres de cuisine d'un autre temps et le Bar des Halles, quand le Comptoir du foie gras n'a plus de places disponibles. Le choix des tapas est large, et ils sont aussi délicieux mais l'ambiance est plus familiale.
Dans la rue Gambetta, à côté, il y a une très belle rôtisserie et sous le porche, si l'on s'avance un peu, un salon de thé que je n'ai jamais pu essayer mais la déco fait envie et ils font du cheesecake et du clafoutis.
Pour manger, pour changer un peu, pour profiter aussi de l'occasion pour traverser la ville quand on n'est plus en son centre et apprécier l'architecture des villas biarrotes, il y a toujours un soir pendant les vacances où l'on va dîner au Taj Mahal qui, comme son nom ne l'indique pas, est un restaurant tenu par des Sri Lankais. S'y retrouvent les amoureux qui aiment voyager, les grands ados avant d'aller danser, les gens du quartier qui savent que les naans au fromage et le poulet Taj Mahal sont trop bons. En rentrant, on peut aller prendre un dessert sur la plage, par exemple une glace pamplemousse-coco chez Dodin puis s'installer sur le sable un peu à l'écart et apprécier la beauté de la nuit sur l'océan. On peut ne pas rentrer tout de suite et contourner l'hôtel pour voir les lumières de l'Espagne et les montagnes un peu floues sur la côte des Basques, je ne compte plus le nombre de promenades nocturnes le long de cette plage à parler sans fin.
Il arrive que l'on revienne d'Anglet quand on passe l'après-midi à la plage (d'ailleurs le camion à glaces d'Anglet est très recommandable, avec une glace au yaourt toute simple mais si bonne, un peu acidulée) et dans ce cas, au retour, on se dépêche de poser les sacs à l'hôtel et on descend très vite dans la petite crique du Santa Maria, un bar restaurant juste intéressant pour sa vue splendide et ses tables dans les rochers. C'est toujours chouette d'y boire un mojito le soir.
Je ne sais pas si la terrasse est toujours là en automne mais en août, il est très agréable de dîner sur le port, à la casa de Juan Pedro. On fait la queue en grignotant des tapas et puis on dîne au bord de l'eau de choses simples, calamars et gambas grillés, chipirons à l'encre ou lotte à l'espagnole. Un peu plus tard dans la soirée, si vous avez un petit creux, vous pouvez prendre une crêpe au chocolat à La petite crêperie et la manger en pensant à la délicieuse journée qui vient de s'écouler.
Je suis sûre que j'oublie des endroits que j'aime bien mais je sais que si on se laisse guider par ses désirs, les gens croisés, les conseils des autochtones, on arrive forcément dans les lieux les plus chouettes. J'adore Biarritz, c'est à la fois moderne et désuet, il y a le spectacle des énormes vagues qu'on ne voit pas toujours en Bretagne et les nuits y sont magnifiques.


Hotel Beaulieu 3 esplanade du Port-Vieux 05 59 24 23 59
Miremont 1 bis place Clémenceau
Maison Adam 27 place Clémenceau
Bookstore 27 place Clémenceau
Le festin nu 2 rue Jean Bart
Lulu la nantaise 8 avenue Jaulerry
In the middle 11 rue Alcide Augey
Lily of the valley 2 rue Simon Etcheverry
Le rond dans l'eau 6 rue Victor Hugo
Arostéguy 5 avenue Victor Hugo
Denim gallery 6 rue Victor Hugo
Le comptoir du foie gras 1 rue centre
Le bar du marché 8 rue des Halles
Santa Maria au Port Vieux
Casa Juan Pedro sur le quai du Petit Port
Dodin Quai de la grande Plage
Le Taj Mahal 10 avenue de la gare
La petite crêperie rue de Mazagran

vendredi 17 septembre 2010

Ailleurs, bientôt -mapo doufu-

En ce moment, les cheveux bien relevés sur le sommet du crâne (mais j'aimerais bien savoir faire une tresse qui en fasse le tour), Nouvelle Vague en fond sonore, une réserve de biscuits italiens pas très loin et des litres de thé qui s'alignent dans des tasses que je ne range pas, je suis occupée à mettre notre vie en carton. Le matin, au petit-déjeuner, on cligne des yeux devant les étagères qui attendent d'être démontées.
Cinq années dans cet appartement ont laissé le temps d'accumuler de quoi remplir une centaine de caisses de livres, de magazines, de dvd, de lettres, de papiers découpés, de cahiers remplis à craquer de textes et de dessins, des photographies par milliers, des gris-gris, des doudous, des lampes rapportées dans des valises, des théières chinées, des cartes postales jamais envoyées, des médicaments périmés, des dictionnaires (architecture, psychanalyse, auteurs, cinéma -films, réalisateurs-, opéra, instrument de musique, cuisine -ses termes, ses classiques-, turc, chinois, allemand, arabe, espagnol, anglais. Le poids d'un frigo), des catalogues d'exposition comme autant de souvenirs de vacances à Paris, Londres ou Lisbonne, des boules de Noël, des affiches qui espèrent être un jour encadrées, des emballages de chocolats et de biscuits, cette veste que tu avais achetée pour ta thèse, la vie qui passe.
Chaque jour, un nouvel objet un peu fragile est transmis par nos soins de l'actuel appartement au prochain (deux rues plus haut, pas très compliqué) qui a donc accueilli des lampes, un Chinois en terre cuite, des appareils photo, des denrées alimentaires suédoises (les rayons de supermarché étaient assez affolants en terme de jolis paquets. Je n'ai même pas su résister à une boîte de couscous), un porte-magazines, un seau à glaçon en forme de poire en laque noire et puis une chaise de bureau années 50 soigneusement raffraîchie par les mains expertes et délicates des filles de madamemademoiselle et des fauteuils de la même époque chinés chez notre antiquaire préférée et qui me rappellent Topolina, en automne à Trouville.
Comme il y a de nombreuses choses pragmatiques qui nous occupent l'esprit, les repas simples et régressifs sont de rigueur. Club-sandwiches dodus avec des frites maison, lasagnes fumantes, mousse au chocolat puissantes et douces à la fois, pizza, soupes de nouilles, kebab, fromages-raisin, glace à la vanille-chocolat à croquer, et pour les soirs de fête, Mapo doufu!


Ce plat est absolument irrésistible avec du riz à la vapeur tout chaud. Les parfums qui diffusent dans la cuisine lors de sa préparation sont déjà un voyage. Lisez un peu comment Gracianne en parle! Il faudrait que j'essaie sa recette même si je suis très convaincue par celle de Mingou où je me permets juste (c'est sûrement hérétique mais bon rappelez-vous que j'étais une adepte des tartines de Vache qui rit-banane) de mettre autant de cochon que de tofu. C'est aussi un plat étonnant pour ceux qui, comme moi, trouve ce dernier mollasse, fadasse et habituellement sans intérêt.
Le point crucial est de goûter en fin de cuisson pour réajuster les quantités de sauce soja, de sucre et de piment pour que ce soit bien relevé. Essayez! (même si vous ne déménagez pas)

Mapo doufu de Mingou
-500g de tofu de bonne qualité coupé en dés
-500g de poitrine de porc hachée
-environ 6 CS de sauce soja
-environ 3 CS de sauce soja aux champignons
-1,5cc de sucre en poudre
-2 gousses d'ail écrasées
-du piment
-une pincée de poivre du Sichuan pilé
-2 brins de ciboule ciselée
-3cc de fécule de pommes de terre délayées dans 3CS d'eau
-3CS d'huile de sésame
-20cL de bouillon de poule
-une huile neutre

Mettre les dés de tofu dans une casserole, couvrir d'eau, porter à ébullition, égoutter, réserver.
Faire chauffer une huile neutre dans un wok, y faire revenir l'ail puis le cochon puis ajouter le piment, le poivre, les sauces soja, le sucre et l'huile de sésame (le mieux, c'est de tout préparer à l'avance dans des coupelles). Bien mélanger.
Verser le bouillon et laisser mijoter une dizaine de minutes avant d'ajouter le tofu. Mélanger délicatement.
Finir par la fécule et laisser cuire jusqu'à ce que la sauce prenne une consistance un peu visqueuse. C'est là qu'il faut goûter (G. aime bien ce moment, c'est lui qui s'en occuppe) et rectifier l'assaisonnement si le besoin s'en fait sentir.
Hors du feu, ajouter la moitié de la ciboule et mélanger puis verser dans le plat et
parsemer du reste de la ciboule pour décorer (là c'était de la ciboulette, deuxième hérésie).
C'est un plat qui ne laisse jamais de restes!
(Je me demande ce que je cuisinerai en premier dans le prochain appartement... Peut-être des empanadas?)

mercredi 8 septembre 2010

Les garçons font comme si -crumble pommes et mûres de bord de mer-

Il m'avait prévenue Jamais je n'habiterai avec quelqu'un.
Ainsi chaque retrouvaille était un rendez-vous, entre les rayons d'une librairie ou derrière les vitres d'un café.
Chez lui, on m'avait aménagé un espace carré où s'entassaient vêtements froissés, cours de médecine et magazines.
Chez moi, il ne venait pas souvent, je ne trouvais pas ça assez bien. Il sonnait juste le jeudi en fin d'après-midi et apportait des pains au chocolat.
J'habitais un appartement petit, sombre, et glacial l'hiver. Le parquet était très beau, il y avait des poutres apparentes et une cheminée mais les fenêtres étaient minuscules, ne s'ouvraient pas ou donnaient sur un mur. C'était très encombré, rempli de livres, d'affiches, de cassettes vidéos, de cartes postales et de tablettes de chocolat. C'était l'époque où sur mon répondeur, les gens étaient reçus par l'introduction d'une chanson de Radiohead. C'était l'époque aussi où je portais des jeans retroussés sur des Clarks en cuir brun fatigué, celle où j'avais une besace en tissu rayé et un duffle coat. C'était l'époque où j'attendais que la vie commence.
Au rez-de-chaussé de mon immeuble il y avait un bar, qui changeait souvent de nom. Un jour, en février, ce n'était pas un jeudi, il avait sonné, il avait quelque chose d'important à me dire. J'avais les traits tirés parce que c'était un rude hiver. On a décidé d'aller boire un café en bas (je ne bois jamais de café) et, alors que je me demandais si j'allais défaire ou non mon écharpe rouge, il m'a dit Peut-être on pourrait habiter ensemble.
Plusieurs hivers ont passé depuis, et vendredi dernier, quelque chose est venu sceller, non seulement les souvenirs anciens, communs et heureux, mais aussi tous ceux à venir, et qu'on ne soupçonne pas.
Pour fêter cela, il était prévu un déjeuner dominical chez Olivier Roellinger, et sur la route qui serpente jusqu'à Cancale, l'excitation était à son comble.
De ce repas plein de bons sentiments, je garderai surtout en mémoire l'arrivée du chariot des desserts et de ses trois étages remplis de douceurs rassurantes: millefeuille à la vanille, profiterole, fraisier, Paris-Cancale (praliné et pistache), tarte aux figues ou abricot-chocolat ou chocolat-caramel au beurre salé, compotée de nectarines au poivre de Kampot, meringues, nougats, guimauve à l'orange et à la poudre Equinoxiale... Je ne me souviens plus de tout. Ce que j'ai trouvé terrible, c'est le retour de la serveuse, une fois les assiettes débarrassées, et sa question miraculeuse Avez-vous eu assez de desserts? Comme je suis timide et que j'ai l'idée que le manque a quelque chose à voir avec le plaisir, je n'ai pas repris de profiterole, qui était pourtant juste démente.
Puis il y eut une longue balade le nez au vent (changement de chaussures de rigueur, mais vous le savez, je suis toujours équipée) et nous avons parlé de focale, de jardins botaniques, d'hôtels parisiens, d'une veste avec des manches à revers rayé et de la fête que nous ferons dans le nouvel appartement, des années après ce café que je n'avais même pas bu, dans le bar en bas de mon immeuble.
On aurait pu croire qu'après les agapes roellingeriennes, nous nous serions passés de dîner. C'était sans compter la très longue marche, lors de laquelle nos mains se blessèrent pour ramasser des dizaines de belles mûres et qui s'était close par l'achat d'une salade toute pimpante à une mamie qui tenait un mini-stand de légumes en bord de route, en bord de mer (j'aurais pû vous parler du charme de la cueillette des mûres, l'oeil qui devient de plus en plus vigilant pour repérer les fruits les plus volumineux, les plus brillants, et la main qui s'avance pour détacher la mûre avec précaution tandis que l'autre main écarte les ronces malvenues, mais j'ai peu d'expérience, je ne voudrais pas dire n'importe quoi).
Alors dans la voiture tous phares allumés, nous avons fait des suggestions impossibles, compte tenu de l'heure et de l'état du frigo dévalisé la veille pour faire un repas digne de ce nom après la séance de Oncle Boonmee ( ce n'est pas le film d'Apichatpong Weerasetakhul que je préfère mais c'était bien quand même). Il n'y aurait pas de salade caesar, ni de porc au gingembre (mummy's recipe) mais l'idée du club-sandwich fut dérivée vers le kebab! Non parce que tu vois, quand je rentre, il y a toujours une queue folle au kebab à côté de la presse. Du coup j'ai regardé et ils annoncent que la viande est maison, du coup je sais pas, on pourrait essayer...
(je sais qu'il y en a qui s'évanouissent rien qu'à l'idée mais j'assume, j'aime les -bons- kebabs!)
A maison, pendant qu'il mettait la table, je suis descendue à toute vitesse et devant le comptoir récemment rénové, j'ai demandé une grande barquette de viande, une petite barquette de frites (ça c'est inhabituel et hérétique mais vous voyez, je ne vous cache rien), de la sauce blanche et un peu de pain. Un kebab déstructuré en quelque sorte. Dans l'ascenseur, avant de franchir la porte d'entrée de l'appartement, j'ai croisé les doigts pour que ça ne soit pas moins bon qu'au Royal Kebab (à côté du TNB, mon préféré. Et en plus, la femme du patron livre parfois des cuisses de poulet farcies), parce qu'ils sont vraiment gentils là-bas et que je n'aime pas faire des infidélités.
Dégustation cérémonieuse et amusée.


Au final, c'était très bon: la viande était bien grillée et avait un goût de piment doux, la sauce blanche était vraiment extra, fraîche, avec des micros-dés de concombre MAIS ce n'était pas aussi régressif qu'au Royal Kebab! La salade de la mamie avait quant à elle le goût de sa gentillesse.
En tout cas, j'aime l'idée que je vis avec un garçon qui peut le midi déplier une serviette sur ses genoux et se régaler de mets sophistiqués dans de la belle porcelaine et le soir dévorer un kebab avec un verre de bière ambrée.
Le lendemain, après une réunion au sommet, il fut décidé que les mûres finiraient en crumble. Fidèle à lui-même, de la même façon qu'il préfère les cheesecakes à croûte épaisse, il aime aussi les crumbles avec plein de pâte. La mûre et la pomme ont fait un heureux mariage.


Recette simplissible et rapidissime: mélanger 120g de farine avec 100g de rapadura et 75 g de poudre d'amande puis y sabler 100g de beurre demi-sel bien froid. Mélanger dans un plat les mûres (environ 200g), six petites pommes (plutôt acidulées) pelées et coupées en dés et une cuillère à soupe de sucre à la vanille (récupérer les gousses de vanilles dont seules les graines ont été utilisées, les mettre dans un bocal et le remplir de sucre en poudre puis attendre). Verser la pâte à crumble et enfourner (35min à 180°)
C'est archi vieillot de servir ça avec de la glace à la vanille, mais c'est aussi archi bon!

vendredi 3 septembre 2010

C'était assez bien pour nous pourtant* -blueberry and almond cake-

Matins vacillants.
Pieds nus sur leurs pointes et sur le parquet glacé, j’avance en titubant dans la cuisine et j’ai l’œil encore mi-clos quand je surveille le lait au bord de l’ébullition. Pas de radio, j’écoute encore mes rêves.
Et comme j’ai trop traîné, je me brûle la langue avec le chocolat chaud.
La rentrée est difficile ! La vie paraît plus simple à Biarritz, installée dans le canapé du Festin Nu à feuilleter des livres de cuisine, accoudée au troquet près des Halles avec du champagne et des tapas, concentrée sur les parfums des glaces (yaourt ? coco ? straciatella ? citron ?), occupée à photographier les vagues au pied du phare, divisée sur cette jupe bleue à Lily of the valley, être épatée par l’andouille basque au piment d’Espelette... Penser à tout cela m’a un peu serré le cœur le jour où je suis revenue à l’hôpital. Je me demande à quel point il faut aimer son métier pour ne pas être un peu triste quand on vide sa valise et qu’on la range en attendant la prochaine fois.
(Jusqu’à très tard, la vingtaine dépassée, je ne partais jamais en vacances et j’accueillais les premiers jours de juillet avec une angoisse sourde. Je me souviens qu’enfant, je fantasmais sur les images d’embouteillage qui passaient à la télévision, avec cette expression dans la bouche du journaliste qui me rappelait ce à quoi je n’avais pas droit Le chassé-croisé du mois d’août. J’étais en général très triste l’été, je trouvais que tout ce soleil était parfaitement insultant quand on s’ennuie à mourir)
Je ne savais pas encore que parfois, le ravissement survient à l’improviste.
Je vous conseille, en cette rentrée, comme baume au cœur radical, de vous procurer Fin août, début septembre. Je l’avais déjà vu il y a longtemps mais un revisionnage attentif et ému a décuplé mon affection pour ce film. J’ai pas mal bassiné G. pendant les jours qui ont suivi, lui racontant comme Jeanne Balibar (fauchée et quittée mais qui s’y connait en restaurant vietnamien) me file des frissons quand elle croit en ce qu’elle n’a pourtant plus, à savoir l’amour de Mathieu Amalric, qui sachez-le, même lorsqu’il fait visiter un appartement, a un charme fou. La façon qu’ont les personnages de se chercher, de se tromper, d’hésiter, de ne pas se comprendre mais-en-fait-si-mais-autrement m’a enchantée. Il s’agit juste de vivre sa vie, mais c’est un peu compliqué.
On suit donc la séparation de Jenny et Gabriel, des sentiments naissants de ce dernier pour une fille fantasque accroc au Tac-o-Tac et au Loto Sportif, Anne, tandis qu’un ami commun, un écrivain, Adrien, qui lui-même vit une histoire sensible avec Véra, une lycéenne aux cheveux courts, se meurt d’une maladie ancienne. Mais ce n’est tant pas un film sur la mort, que sur ce que cette mort révèle d’eux-mêmes à ce qui restent, aux vivants. Et c’est cette nouvelle force, ce printemps en automne, qui m’a aidée lorsque les matins étaient trop vacillants.
Dans un registre plus réel, pour se sentir plus fort que les chefs cruels, les comptes en banque inexistants, les familles compliquées et les amis qui s'en vont, il ne faut pas hésiter à préparer un gâteau aux myrtilles.


La recette de Julia, avec des cassis, est à suivre les yeux fermés et, même s'il se garde très bien grâce à la pâte d'amande, des morceaux délaissés de gâteau sont délicieux recouverts de lait bien frais.
J'ai juste diminué un peu les proportions.

Blueberry and almond cake
-4 oeufs
-200g de sucre
-120g de pâte d'amande râpée
-190g de farine
-60g de beurre
-500g de myrtilles

Fouetter les oeufs et le sucre jusqu'à ce que le mélange blanchisse et devienne mousseux.
Ajouter la pâte d'amande puis la farine en mélangeant bien à chaque fois.
Verser la pâte dans un moule beurré et fariné.
Répartir les fruits à la surface en les enfonçant un peu.
Recouvrir de lamelles de beurre, saupoudrer d'un peu de sucre et enfourner environ 45 minutes dans un four à 200°.

*Le couple qui visite l'appartement que Gabriel et Jenny vont quitter font un peu la moue et je ressens, comme Jenny, une petite tristesse quand les gens visitent l'appartement que nous quittons bientôt, avec les lèvres pincées.

lundi 30 août 2010

Au coin du monde

Le pari était de taille au vu des antécédents. Frousse folle quand il s'agissait de monter à la corde, bleus aux genoux quand approchait le 110 mètres haies, souffle court dans les virages et jambes molles sur la poutre, mon corps désarticulé et hypotonique n'a jamais aimé le sport. Sauf au coin du monde.


Les bras souffraient un peu pourtant, le vent était contraire. Il fallait descendre une rivière, puis traverser un lac pour arriver sur une île où se cachait un petit château (non, pas celui où le Roi emmenait ses maîtresses en douce, un autre).
Il m'a prêté une veste un peu étroite pour lui et il a souvent répété Tu peux arrêter si tu veux, et juste regarder. Juste regarder les nénuphars et les libellules, les oies sauvages qui prennent leur envol, les cygnes solitaires, les rides de l'eau, le ciel qui s'embrase. Mais il m'a trouvée têtue, parce que je reprenais vite la pagaie, pour l'aider.
Dans l'unique pièce du château, il y avait des bougies, des allumettes et un joli jeu de cartes mais nous n'y avons pas joué. Il ne fallait pas traîner, Wilma et Johan allaient nous attendre pour le dîner.
Depuis trois ans déjà, ils avaient quitté la Hollande et le rythme effréné auquel ils menaient leur vie pour s'installer dans la maison qu'occupait autrefois le sergent du village, en lisière de forêt, à Salbohed, une ville avec un supermarché minuscule, à une heure de route de Stockholm. Un point à peine visible sur la carte.
Ils ont repeint la maison toute noire d'un joli rouge, ils ont refait toutes les pièces, posé des belles tapisseries, choisi du mobilier chaleureux et des couvertures douces et colorées pour l'hiver, quand il fait nuit dès trois heures de l'après-midi et qu'on a de la neige jusqu'à la taille. La maison du sergent est devenue un très beau Bed and Breakfast où l'on se sent vraiment comme à la maison.
Chaque soir, Wilma propose de préparer le dîner et Johan fait le service, cérémonie joyeuse et un peu timide. Les plats sont simples et délicieux, un gratin de poisson, du saumon grillé, des spaghetti aux herbes et du poisson à la sauce tomate. De la salade et du bon pain. Un gâteau aux myrtilles, avec celles du jardin. Le matin, il y a des fruits dans un cageot, des poires juteuses et parfumées par exemple, ou des pommes minuscules.
Nous sommes restés trois jours là-bas; j'adorais nos soirées, quand après le dessert, ils venaient s'asseoir près de nous, et comme il était agréable de raconter sa vie à des gens que nous ne reverrions jamais et comme j'aimais aussi les écouter parler des hivers suédois, des gens croisés et des élans qu'ils retrouvaient parfois à leur porte.
Le matin de notre départ, ils nous ont embrassé avec la promesse d'une carte postale, quand je passerai ma thèse, l'année prochaine.
Je ne pensais pas que nous reviendrions à Salbohed mais à la fin du voyage, après mille péripéties, quand G. m'a demandé ce que j'aimerais faire avant de rentrer à Stockholm, j'ai dit Faire du canoë et dormir chez Johan et Wilma.
L'accueil fut formidable et elle avait prévu des fruits secs et des fruits séchés pour l'expédition en canoë. J'aimais croquer dans un morceau de noix de coco puis grapiller quelques cranberries. Ce soir-là, nous avons dîné ensemble, et nous avons discuté si longtemps que certaines bougies furent entièrement consummées.
Le lendemain, avant de partir, G. est allé chercher son polaroïd (retrouvé dans une malle chez sa maman) et a photographié le jeu d'échecs et les deux chaises de l'entrée. Nous avons promis de revenir en hiver, un jour, pour faire des raquettes puis rentrer boire un glogg en grignotant des pepparkakor.


Si comme nous vous décidez un jour de parcourir la Suède en voiture (couleur vert pomme), quelques adresses réjouissantes quand on est épuisé par une balade de six heures à travers les bois, quand on est excité par la beauté d'un lieu, quand il faut attendre une heure avant la prochaine visite guidée (obligatoire! Aussi scandaleux que les audioguides dans les musées) d'un château de conte de fée ou juste pour échanger sur des sujets de haute importance (faut-il vraiment retourner à cet antiquaire près du parc pour chercher le vase turquoise?) .


-sur la place principale de Sala, on ne s'y attend pas du tout, mais il y a un salon de thé rose, gris et blanc, le Rombo Gaarden avec un comptoir qui déborde de kanelbullar, de morotskaka, de roulés au chocolat fourrés à la banane et de biscuits à la lavande ou à l'orange. J'en garde le souvenir d'une serveuse charmante, avec une petite tête à la Audrey Hepburn, toute contente de nous dire que la glace à la vanille est maison et qui vient s'assurer que les tartines choisies, au saumon par exemple, sont bien à notre goût.




Je l'ai vue, dans l'entrebaîllement de la porte de la cuisine s'appliquer à faire pour nous une belle boule de glace à la vanille et j'ai été touchée par sa concentration. Tout était très bon, très frais. Et nous n'avons pas été déçu par le kanelbullar dégusté plus tard. C'est un chouette endroit pour vaquer, feuilleter des magazines, faire des dessins et discuter. Et c'est aussi une boutique!


-à Sigtuna, au bout de la rue de l'office du tourisme, vous ne manquerez pas de vous arrêter à RC Chocolat


Il y avait une fille très blonde dont j'ai envié un instant la robe à pois mais mon attention fut rapidement détournée par un chocolat chaud et un petit sandwich trop bon (j'aime bien le salé avec le chocolat, par exemple un oeuf à la coque avec des mouillettes au jambon accompagné de gorgées de mon Poulain orange quotidien me ravissent).


La kardemmumabullar avait une mie bien humide comme j'aime (un jour je vous raconterai comment grâce à Super Loukoum°°°, j'ai vaincu la pâte à brioche) .

-à Uppsala, la ville où Bergman a passé ses vacances d'enfance, là où repose Emanuel Swedenborg, il y a aussi le Eko Cafeet, un café tenu par un étudiant en médecine polonais qui a décidé de faire une pause dans ses études (on a un peu discuté avec lui), son frère et un copain qui se débrouille plutôt bien en cuisine si l'on en croit les boulettes dégustées ce midi-là avec des pommes de terre tandoori et une sauce au yaourt et aux herbes.

L'ambiance est extrêmement décontractée, la clientèle mêle garçons seuls à grandes lunettes en goguette et mamies venues siroter un grand bol de soupe à la tomate avec du bon pain.

De retour à Stockholm, il y a trois endroits où vraiment, on soupire de plaisir:


-Lao Wai, un restaurant chinois végétarien incroyable, qui invite à visiter ses cuisines. J'ai juste jeté un coup d'oeil timide mais j'ai adoré le spectacle des woks bouillants et des mains rapides qui émincent la ciboule. Le mapo doufu (l'un de mes plats chinois préférés! Un jour aussi je vous parlerai de celui que je fais, selon une recette de Mingou) est absolument dément. Et en dessert, la glace au pandan que nous nous apprêtions à dévorer faisait briller d'envie les yeux de la serveuse, à juste titre.


-sur la route du parc Carl Milles, il faut s'arrêter à Gateau pour prendre des biscuits au chocolat, une part d'apple pie, un muffin à la carotte et une petite brioche. TOUT est bon!



-sur les conseils de Julia, lors d'une journée au Djurgaarden, nous n'avons pas manqué d'aller déjeuner au Rosendals Trädgaard. C'est là que j'ai mangé le meilleur morotskaka! Moelleux, pas trop épicé, pas trop sucré, avec un glaçage crémeux et citronné comme il faut.


S'il n'y avait pas eu une si longue file d'attente, j'en aurais repris une deuxième part!
(Et je serais bien restée plus longtemps en vacances)


Salbohed Garden Bed and Breakfast Kopparbergsvagen 40 à Salbohed
Rombo Garden Stora Torget 8 à Sala
RC Chocolat Stora Gatan 49 à Sigtuna
Eko Cafeet Drottninggatan 5 à Uppsala
Lao Waï Luntmakargatan 74 à Stockholm
Gateau Herserudsvägen 1 à Lidingö et d'autres adresses sur le site
Rosendals Trädgaard Rosendalsterrassen 12 à Stockholm

lundi 16 août 2010

Et elle aimait la vie comme vous n'imaginez pas

Vendredi midi à Gaardanas Butik.
Nous avons partagé la grande table en bois peinte en bleu clair avec un petit groupe d'amis qui semblaient tous aimer la moutarde douce.
La jeune femme qui nous a accueillis, jean, tennis roses et tablier en lin chocolat, a annoncé dans un sourire qu'il y avait des boulettes maison ou un ragoût de saucisses avec une écrasée de pommes de terre, une assiette de harengs et de la soupe d'asperges blanches.
Pour patienter, elle a apporté de fines tranches de pain au levain, du beurre délicieux et un jus de pommes artisanal dans une jolie bouteille.
Pour patienter, nous avons photographié les empilements de cageots de bois, les légumes locaux et les bocaux de miel. J'ai bien aimé rajouter un peu de beurre sur l'écrasée de pommes de terre enrichie d'herbes fraîches et de la moutarde au miel sur mes boulettes toutes moelleuses. Autour des autres tables, tout le monde avait l'air content.
Alors que nous parlions de mobilier scandinave, alors que G. sirotait le café qui clôt chacun de ses déjeuners, un homme très âgé s'est avancé dans la salle. Un homme très élégant dans sa démarche lente. Il était suivi de près par une femme toute ridée, qui se déplaçait à l'aide de deux cannes. Lentement. Derrière eux, un ami de la même génération, avec un chapeau. Ils ont serré la main de la jeune femme aux tennis roses et au tablier chocolat, elle s'est empressée d'aller chercher des coussins dans la vitrines, pour adoucir le dossier de leurs chaises. La cuisinière, tablier bleu et grande chemise blanche, est sortie les saluer chaleureusement et les visages si ridés étaient ravis.
Ils ont choisi le hareng, servi avec des oeufs durs, des crackers, de la crème et du fromage. L'ami s'est dit qu'il aimerait une bière bien fraîche pour accompagner ce repas. Comme il n'y en avait pas, il a décidé, posément, d'aller en chercher au supermarché d'à côté. Dix minutes plus tard, la cuisinière déposa sur la table un petit manège à oeufs en bois, le pain et le beurre. La femme entreprit de faire quelques tartines pour son mari et pour leur ami. Elle commença à étaler le beurre sur les petites tranches de ce si bon pain à la croûte fine et croustillante, au coeur moelleux acidulé, à cause du levain. L'ami les a vite rejoints, il a ouvert la canette de bière, en a partagé le contenu dans trois grands verres et sembla très heureux de trouver dans son assiette la petite tranche de pain beurré.
Je ne sais pas bien dire pourquoi mais j'ai été infiniment émue par ces trois personnes, visiblement très âgés, qui se sont dits ce midi-là "Tiens, si on allait déjeuner à Gaardanas Butik?", qui semblent bien s'entendre, qui prennent soin les uns des autres et qui sont à l'écoute de leur désir.


Gaardanas Butik Nytorsgatan 31 à Stockholm
Ju*, avec son bon goût et son érudition habituels, en avait déjà parlé, j'avais oublié de noter l'adresse mais mon inconscient s'en est chargé pour moi!